Interview de Mauricio Sotelo Vargas (Cabezas de Cera)
par Bruno Ricard

Mauricio Sotelo de Vargas est un personnage aussi étonnant que son groupe est original. Le concert donné par ce dernier au festival Prog’Sud des Pennes Mirabeau aura été particulièrement hypnotisant. Imaginez un trio qui mélange l’électricité et la puissance du rock au folklore mexicain, au free-jazz avec un soupçon de rock progressif à la manière de King Crimson et vous aurez un aperçu forcément incomplet de la musique de Cabezas de Cera.

Autant être franc, je suis avant tout allé à ce concert pour y entendre du Stick Chapman. Car effectivement, Mauricio est un des rares musiciens pratiquant le Stick dans son pays. Mais j’y ai surtout entendu de la Musique avec un grand M, par un musicien au sens premier du terme, qui maîtrise un nombre impressionnant d’instruments aussi délirants les uns que les autres, et parmi lesquels le Stick Chapman n’est rien d’autre qu’un instrument parmi d’autres. Et au final, j’ai plus retenu du concert ses longues interventions au charrofono et à la jalona prima pour n’en citer que quelques uns.

En ce qui concerne la prestation du groupe à proprement parler, celui-ci joue beaucoup avec les nuances de niveau sonore entre les différentes parties qui font incroyablement respirer la musique. Par ailleurs, les différents titres juxtaposent assez fréquemment des parties écrites, d’une rare complexité, notamment au niveau rythmique (le batteur s’avère être un expert des parties polyrythmiques), à de longues plages improvisées où le saxophoniste, qui joue aussi bien du ténor, de l’alto, de la flûte que de l’EWI (saxophone MIDI), s’en donne à cœur joie (il est le principal artisan du côté « free jazz »). Tout cela conjugué vous fera découvrir une musique véritablement hors normes.

L’entretien que j’ai eu ensuite avec Mauricio Sotelo Vargas est, comme d’habitude, parti dans tous les sens, celui-ci étant particulièrement bavard et amusant, même si ma méconnaissance, pour ne pas dire plus, de la langue espagnole, ne m’a pas permis de tout saisir. Voici un condensé de ma discussion avec lui, traduite tant bien que mal.

En tout cas, le personnage s’est révélé d’une gentillesse inégalable : si jamais son groupe passe dans vos environs, n’hésitez pas à passer lui faire la bise !

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Cabezas de Cera
En pleine action

Parle-nous de tes débuts dans la musique...

J’ai commencé la musique à 14 ans, par la guitare acoustique. A cette époque, j’aimais le rock et, d’ailleurs, CDC était un groupe de rock. Ensuite, j’ai appris la guitare électrique avec comme principale influence, Stanley Jordan. Pendant cette période de deux ans et demi, CDC faisait encore plus de rock qu’autre chose. Dans mon pays, la plupart des musiciens commencent en faisant des reprises. Mais dans mon cas, depuis très jeune, j’ai composé ma propre musique, et la plupart de la musique est composée par mes soins.

Comment as-tu découvert le Stick ?

Il y a 10 ans, j’ai vu Tony Levin avec King Crimson et j’ai tout simplement voulut faire comme lui. Je travaillais dans un bar de Mexico dans lequel passaient des groupes de rock. J’y travaillais comme barman, mais aussi comme ingénieur du son. Je faisais un peu tout en fait...
J’ai d’abord rencontré l’actuel ingénieur du son de CDC, Edgar Regin. C’est lui qui m’a acheté, à un copain, mon premier Stick. Pendant 6 mois, j’ai appris à jouer et j’ai découvert des astuces. Ensuite, avec mon frère, on a commencé à composer notre propre musique.
J’ai participé à un séminaire à Barcelone, qui m’a ouvert l’esprit et qui m’a fait connaître les multiples possibilités de l’instrument, en ce qui concerne le choix des sons, l’accordage, les techniques de jeu...

Le Stick est-il un instrument « connu » dans ton pays ?

Au Mexique, quand les personnes pensent au Stick, ils mettent cela en relation avec le groupe CDC.
Dans le pays, il y a 20 sticks, mais la plupart des personnes s’y intéressent pour leur collection personnelle et non pour apprendre à en jouer. A ma connaissance, nous ne sommes que 3 musiciens qui nous intéressons vraiment au Stick ; je sais que tous les 3, nous faisons des concerts.

Est ce que tu tentes de faire connaître le Stick dans ton pays et comment ?

Après le stage que Guillermo Cides a organisé au Mexique, j’ai décidé de donner des cours de Stick aux personnes qui souhaitaient en jouer. Ils avaient d’abord appris d’autres instruments plus communs. Quand ils apprennent à jouer du Stick, ils découvrent une nouvelle façon de jouer. Il m’arrive de prêter à mes élèves mon instrument parce que je suis conscient qu’un Stick est très cher pour nous.

Quels sont les intérêts que tu trouves en jouant le stick ?

C’est un instrument qui permet de travailler beaucoup les dynamiques de son, des choses très puissantes et des choses très fines. C’est un instrument qui permet le mélange entre l’harmonie, le rythme et la mélodie. Le stick a encore des possibilités à exploiter.

Quels sont les instruments utilisés dans CDC ?

Il y a 4 instruments principaux : le stick, la guitare acoustique, la batterie et la guitare 12 cordes. Cette guitare a une consonance blues et apporte de nouvelles sonorités, grâce à l’accordage en open tuning de sol.
Par ailleurs, nous jouons des instruments très originaux et uniques que mon frère a créés, en leur donnant des noms tels que « el charrofono » et « la jolana prima ». Ils sont utilisés dans le dernier disque de CDC « Metal Musique ».
J’utilise les instruments pour créer des nouveaux rythmes en prenant pour base des rythmes traditionnels mexicains comme le jarocho, l’azteco, la musique mariachi. J’utilise aussi les rythmes jazz et les rythmes asymétriques.

Parles-nous de ton nouveau disque...

Metal Musica est né à partir d’un projet sur lequel a travaillé mon frère à la fac. Grâce à ce projet, nous avons trouvé une nouvelle façon de jouer la musique et découvert de nouveaux rythmes, de nouveaux instruments (traditionnels et issus de sa propre création). Nous savons bien que tout instrument a ses limites et grâce aux deux derniers (le charrofono et la jalona prima), nous avons découvert des nouveaux rythmes et sons.

Quelles sont tes influences musicales ?

Au début, j’ai aimé Miles Davis, John Coltrane, John Zorn, Robert Fripp, Bill Frisell, Trey Gunn Band. Mais dernièrement, je m’intéresse à de la musique plus « simple » comme Anouar Brahim, N’Guyen Le, Renaud Garcia-Fons, Stockausen...
Ma musique est aussi beaucoup influencée par les musiques traditionnelles mexicaine et arabe et la musique expérimentale.

Peux-tu nous parler de tes compositions ?

Le premier disque a été fait à partir d’improvisation ; nous avons écrit ces compositions dans le studio ou pendant les répétitions, et nos chansons se sont construites petit à petit de cette façon. Avant de connaître le stick, nous faisions des enregistrements pendant les répétitions, et ensuite, tous les trois faisions une sélection des meilleures chansons.
Pour le second disque, j’ai eu plus du temps pour travailler les compositions. Je les faisais écouter pendant les répétitions et chacun apportait son idée. Nous faisions les arrangements tous les trois. A la fin, nous devions être d’accord du résultat.
Pour notre dernier disque, nous avons eu un autre type de dynamique : nous avons improvisé pour la création de nouveaux rythmes mais sans oublier qu’il y a aussi des choses obligatoires à respecter dans la musique.

CDC a toujours été un trio ?

Après la création du groupe, nos amis sont venus jouer avec nous ; CDC est alors devenu un groupe de 8 personnes. Mais avec le temps, il était difficile de travailler sur des projets qui nous satisfaisaient tous. Donc, nous avons décidé de n’être que 3.

Comment est la relation avec ton frère dans le groupe ?

Nous avons une excellent relation de travail, nous sommes très professionnels et chacun travaille selon sa spécialité ; donc nous apportons des choses très différentes au groupe.
Le groupe nous a permis de partager une passion commune, « la musique », malgré notre différence d’âge (4 ans) et de personnalité.

Est-ce possible de vivre de la musique dans ton pays ?

Malheureusement, le niveau de vie est totalement différent au niveau de vie en France ; les musiciens mexicains ont beaucoup de difficultés, surtout pour l’acquisition d’instruments.

Pour CDC, au début, les choses ont été difficiles, nous avons vécu des expériences... mais nous avons fait beaucoup d’efforts pour arriver à acquérir la reconnaissance, surtout dans le milieu culturel mexicain : ce milieu est très fermé et s’est rare qu’un groupe comme CDC soit accepté.

Tu me disais en aparté que CDC a été aidé par l’état mexicain ?

L’aide économique de certains institutions culturelles est récente (3 ans) : grâce aux concerts joués à l’extérieur (USA, Europe, et certains pays d’Amérique Latine), nous avons réussi à montrer nos expériences et l’Etat mexicain nous a donné une subvention, qui est très difficile d’acquérir au Mexique.
Nous avons obtenus une autre subvention du « Fondo de Cultura » (organisme de l’Etat), afin de payer l’enregistrement de notre dernier disque. Enfin, le « Secretaria de Relaciones Exteriores » nous a payé le voyage pour venir au Prog’sud. Le reste, nous le payons nous-mêmes.
Cette année, nous avons pas mal de concerts : notre agenda est presque plein pour l’année.

Que veut dire CDC ?

Nous nous sommes inspirés d’un livre d’Alejo Carpentier « EL REINO DE ESTE MUNDO ». Le premier chapitre s’appelle Cabezas de Cera. Il parle de la présence, du travail et de la liberté de l’homme dans le monde. Nous avons trouvé ce chapitre très intéressant.

Quels pays avez-vous visités avec CDC ?

En France, le premier concert a été au Festival Crescendo, puis deux autres, à Dijon (au Saint Georges) et au festival Prog’sud, ici, aux Pennes Mirabeau. En Espagne, nous avons fait 6 concerts, entre la Catalogne et Madrid. Nous avons également joué au Chili, en Equateur et aux USA.

Quels sont les projets du groupe ?

Continuer la promotion du disque et du DVD. Après tous les concerts de l’année, nous voulons faire des disques simples (4 chansons).
Ah, j’oubliais le plus important : Emmett Chapman, qui a écouté nos disques, nous a lui-même contacté pour nous dire qu’il avait apprécié notre travail et qu’il voulait travailler sur de possibles concerts aux USA et à Los Angeles.
En octobre, nous sommes invités aux USA pour donner un concert dans une université du Texas et nous profiterons pour contacter Mr Chapman afin de définir les dates de nos présentations aux USA.
Personnellement, je continuerai à travailler comme ingénieur de son, prendre des leçons de musique et donner les cours.

Et bien ainsi s’achève cette interview... Merci à toi pour ta collaboration et à bientôt en France !

Oui, j’espère bien ! Merci à l’AFSTG et à bientôt !





Pour plus d’infos sur Cabezas de Cera : http://www.fuga.com.mx/cdc/